« Fermer le sas du sous-marin, descendre pendant une heure dans le noir et voir le fond de l'océan sous 2,5 kilomètres d'eau, cela fait tout de même quelque chose »

La spécialité de Kim Moutard ? Les grandes profondeurs. En troisième année au département de géosciences de l’ENS-PSL, l’étudiante s’intéresse aux processus qui se déroulent au niveau des dorsales, c’est-à-dire à la dynamique des systèmes géologiques et magmatiques actifs au fond des océans. Des systèmes encore peu connus et fascinants, que Kim souhaite continuer à étudier au cours d’une future carrière de chercheuse.

Kim Moutard

« D’accord ! Mais après mi-février, je pars en mission en mer et je serai peut-être peu joignable à cause de la connexion Internet incertaine », nous répond Kim Moutard, lorsque nous la sollicitons pour une interview. En troisième année au département de géosciences de l’ENS - PSL, la normalienne doit bientôt embarquer pendant plusieurs semaines à bord de l’Atlantis, un navire de recherche américain, en direction de la dorsale est-Pacifique. Véritables chaînes de montagnes sous-marines, les dorsales intéressent de près les chercheurs et chercheuses, notamment en raison de leur activité magmatique et géologique.

Des écosystèmes abyssaux encore méconnus

Kim étudie les processus qui se déroulent au niveau de ces dorsales. Plus spécifiquement, elle observe ce qu’il s’y passe en matière de circulation de fluides dans la roche - appelée circulation hydrothermale - et leur zone de décharge, les évents hydrothermaux. Ceux-ci se manifestent par de grandes cheminées sous-marines, situées à plusieurs kilomètres de fond, qui évacuent une partie de la chaleur interne de la Terre. Véritables soupapes de refroidissement, elles crachent de l’eau à très haute température et à la composition chimique particulière.
« Au-delà de leur importance thermodynamique dans la lithosphère - l'enveloppe rigide de la surface de la Terre - ces sites forment des écosystèmes très spécifiques, que les biologistes ont commencé à étudier depuis quelques dizaines d’années seulement », explique Kim, qui se focalise en ce moment sur la modélisation numérique de ces circulations abyssales.

Le hublot duquel on voit le plancher océanique et le bras mécanique du sous-marin lors de la plongée de Kim, sur la dorsale est-Pacifique en mars dernier.
Image courtesy of Jill McDermott, Lehigh Univ.; HOV Alvin/NDSF/WHOI-MISO Facility, NSF; ©Woods Hole Oceanographic Institution


Passionnée par les géosciences, c’est à l’ENS - PSL que l’étudiante a découvert cette discipline. « J’ai longtemps hésité avec la biologie, tout en sachant qu’un jour je souhaitais lier les deux dans mes travaux. »
Originaire de Coutances, en Normandie, Kim intègre l’École normale après deux années de classes préparatoires biologie, chimie, physique et sciences de la Terre (BCPST) au lycée Malherbe de Caen. « Cette filière m’a permis d’avoir une vision d’ensemble des sciences », justifie-t-elle. « Et l’équipe enseignante du lycée, avec qui je suis toujours en contact, a été géniale », témoigne Kim avec reconnaissance. « C’est d’ailleurs mon professeur de physique qui m’a conseillé de passer le concours de l’ENS », se souvient l’étudiante, également encouragée dans cette voie par ses camarades de prépa et ses parents. « C’était vraiment le meilleur choix au vu de ma personnalité et de mes envies futures », estime-t-elle.
Admise à l’École normale, Kim intègre « sur un coup de tête » le département de géosciences : « il fallait bien prendre une décision », explique-t-elle. « Mais la diversité des enseignements qui y sont proposés a aussi fait pencher la balance. » Depuis, l’étudiante a effectué sa licence et son master dans ce département, « en choisissant des cours supplémentaires de biologie pour compléter ma formation. »

S’ouvrir sans contraintes

Après deux semestres de césure, la voici désormais en dernière année à l’ENS-PSL. « Mes premiers mois dans cet établissement ont été riches en apprentissage, car avec le confinement, nous avions beaucoup de temps pour choisir des cours dans plusieurs départements, et c’est ce que j’ai fait. », se rappelle Kim. « Du reste, depuis que je suis arrivée à l’École, je passe des moments incroyables avec ma promotion », poursuit-elle. « Nous nous retrouvons souvent sur le campus ou en dehors. »

Pour l’étudiante, l’environnement offert par l’ENS est « très riche » et permet de s’ouvrir à de multiples domaines. De multiples interventions extérieures, des séminaires variés… « C’est agréable de savoir que l’on peut faire une ou plusieurs parenthèses dans sa semaine et s’intéresser à un sujet complètement différent de ce que l’on étudie d’habitude. »
Kim apprécie également la liberté accordée aux étudiants et étudiantes le long de leur parcours, « avec un suivi souvent de très bonne qualité ».

« L’ENS ne pouvait pas être un mauvais choix pour moi, tant les opportunités de stage, de doubles diplômes, de bifurcations et d’expériences hors les murs sont nombreuses. »

Et en ce qui concerne la vie de campus, « il y a en a pour tous les goûts ». Kim a été impliquée dans l’association Cours aux Ernests, qui permet à des étudiants de différents départements de donner des cours d’introduction à d’autres qui souhaiteraient découvrir de nouvelles disciplines. Et au-delà de ses études scientifiques, Kim est également sensible au monde de l’art. Elle dessine depuis petite, « principalement des animaux ». Une pratique que lui a transmise son père et qui lui permet « de ne penser à rien du tout ». La normalienne joue également du hautbois depuis ses 7 ans, même si elle admet avoir dû diminuer le rythme par manque de temps. Elle espère cependant intégrer prochainement un orchestre amateur. « À Paris, je passe le plus clair de mon temps avec mes amis de promo », ajoute-t-elle.

Un nautile dessiné par Kim


« L’ENS ne pouvait pas être un mauvais choix pour moi », résume Kim. « Tant les opportunités de stage, de doubles diplômes, de bifurcations et d’expériences hors les murs sont nombreuses ». Et à celles et ceux qui seraient tentés d’intégrer l’École, l’étudiante les encourage avant tout à se renseigner sur les différentes voies d’accès. Kim insiste sur le fait qu'en géosciences notamment, la pluralité des profils permet une belle entraide et surtout d'apprendre des autres qui ont tous vécus des choses différentes, et donc enrichissantes. Son dernier conseil est destiné aux nouveaux arrivants à l’ENS : « discutez et rencontrez des personnes, que ce soit au sein de vos promotions, des enseignants-chercheurs ou encore des intervenants extérieurs. Profitez de vos années à l’École, des clubs et des différents enseignements proposés, il y a une vraie richesse et le temps passe très vite. »

Des sciences novatrices

Kim en sait quelque chose : il ne lui reste que quelques mois pour terminer de préparer la prochaine étape de son parcours. La normalienne souhaite poursuivre vers un doctorat en géosciences marines. Les raisons qui la poussent vers cette voie sont nombreuses : « je me sens à l’aise dans le monde de la recherche que j’ai fréquenté jusqu’à présent. Étudier des systèmes aussi passionnants qu’étranges, et qui ne sont pas aussi rares qu’on ne le croit, c’est très stimulant », justifie-t-elle. « De plus, les sciences liées à l’océan profond sont encore relativement jeunes, et donc les études transdisciplinaires sont en plein essor. » Kim loue également l'effort collectif dans la recherche, qu’il s’agisse de moments informels comme de discussions autour d'un café ou de collaborations à différentes échelles, « au fort potentiel d’avancées et de découvertes  ». Et de résumer avec simplicité : « à ce stade de ma vie, je ne me vois pas ailleurs ».

Le navire de recherche allemand METEOR, mission RIFLOR 1, où Kim a effectué un stage.
 

Science et protection de l’environnement

Pour Kim, qui consacre la plus grande partie de ses journées à étudier notre planète, difficile de ne pas se questionner sur le rôle de ses recherches, et plus largement de la science, vis-à-vis des enjeux environnementaux actuels. « Les systèmes hydrothermaux, et les profondeurs océaniques en général, sont parfois choisis comme analogues aux autres planètes, et ce sont des écosystèmes dont on a du mal à connaître la sensibilité et la réponse aux perturbations », explique-t-elle. « Les cycles biogéochimiques y sont également mal contraints, ce qui en fait une sorte de boîte noire pour les questions environnementales, dont nous sommes loin d’avoir fini l’exploration », résume-t-elle.
« Les enjeux environnementaux actuels occupent une place très importante dans ma tête », précise Kim. « La question se pose bien évidemment lorsqu’il s’agit de partir chercher des données à l’autre bout de la planète, et là on passe du côté de la question du coût environnemental de la recherche en elle-même », considère-t-elle. « Heureusement, ces thématiques sont de plus en plus abordées dans le monde académique, et c’est crucial. »

« La science peut permettre d’affiner d’éventuelles solutions ou des trajectoires futures, mais il est important de souligner qu’aujourd’hui, nous en savons déjà largement assez pour agir. »

Quant à la protection de l’environnement par la science, « cela ne peut être résolu en quelques lignes », estime Kim. À ce sujet, la normalienne cite le séminaire Partager et agir organisé cette année à l’ENS-PSL, qui permet d’en discuter largement et « où chaque chercheur et chercheuse ont leur propre point de vue et peuvent s’exprimer ».
Pour Kim, la science permet une meilleure compréhension d’un objet ou d’un processus. Elle a dans ce sens un rôle clé dans les enjeux environnementaux actuels, « car il est plus simple de protéger ce dont on connaît l’importance, le fonctionnement et la place dans les systèmes, qu’ils soient climatiques ou biogéochimiques… » La normalienne tient cependant à nuancer ses propos : « la science peut permettre d’affiner d’éventuelles solutions ou des trajectoires futures », considère-t-elle, « mais il est important de souligner qu’aujourd’hui, nous en savons déjà largement assez pour agir, l’essentiel est déjà sous nos yeux », conclut la future chercheuse.

 

Mis à jour le 9/4/2024