Michael Ghil

Professeur des Sciences de la Planète

Entretien en mai 2012

Ingénieur et mathématicien de formation, Michael Ghil, a dirigé le Centre d’enseignement et de recherche sur l’environnement et la société (CERES) pendant 7 ans et le département Terre-Atmosphère-Océan (TAO, devenu Géosciences) pendant 6 ans et demi. Pionnier de la dynamique du climat, il a été le premier professeur de l’École en enveloppes fluides.

Portrait de Michael GhilQuel est votre parcours ?

Je suis né à Budapest durant l’occupation nazie. Pour échapper aux déportations, ma mère s’est réfugiée avec moi en Transylvanie – dans la partie restée roumaine après le Diktat de Vienne –, où habitaient ses parents. J’ai fait ma scolarité, passé mon bac et les deux premières années d’École polytechnique à Bucarest.

Passionné dès mon adolescence par la physique et les maths, j’avais commencé pourtant des études d’ingénierie mécanique pour des raisons socio-politiques liées au régime soi-disant communiste de la Roumanie de l’époque.
Nous sommes ensuite partis en Israël où j’ai appris l’hébreu dans un kibboutz et fini mon diplôme d’ingénierie (B. Sc. et M. Sc.), avec une thèse de master sur le transfert de chaleur à travers une traînée de Kármán. Après mon service militaire, j’ai fait mon doctorat au Courant Institute of Mathematical Sciences de New York sous la direction de Peter Lax, un mathématicien hongrois lauréat du prix Abel. J’y suis resté ensuite 10 ans comme professeur.

Durant ma thèse, j’ai commencé à m’intéresser aux problèmes de la météorologie et du climat. En 1985, j’ai rejoint le département de sciences atmosphériques et l’Institut de géophysique et de physique planétaire (IGPP) de UCLA, en devenant le directeur d’abord du département (1988-1992) et ensuite de l’IGPP (1992-2003).

J’ai passé quelques mois à l’ENS pour la première fois en 1979, époque à laquelle Hervé Le Treut, qui est maintenant membre de l’Académie des sciences et directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), a commencé à travailler avec moi sur deux papiers en paléoclimatologie, dans le cadre de sa thèse. En 2002, Gabriel Ruget, directeur de l’ENS et Yves Guéguen, directeur du département TAO – sur l’avis et suite à l’incitation de mes collègues du LMD et de Gérard Mégie, à l’époque président du CNRS -, ont créé la première chaire d’enveloppes fluides de l’École, en me conviant à y postuler.
Les liens forts tissés avec des chercheurs français depuis 1979 ainsi que la rencontre avec mon épouse, sévrienne littéraire, en 1980 à New York, ont été déterminants dans ma décision d’accepter avec enthousiasme cette possibilité de m’établir à Paris.

À l’origine, le département TAO était un département de géologie, on y enseignait la minéralogie, la pétrologie, la sismologie, tandis que le LMD était depuis sa création une unité propre du CNRS. En tant que directeur du département – et avec l’aide de quatre directeurs des études successifs et celle d’enseignants de l’IPSL -, j’ai pu suivre l’initiative de mes deux prédécesseurs à la direction (C. Froidevaux et Y. Guéguen) et intégrer dans les cours ceux sur l’atmosphère, l’océan et le climat, en établissant ainsi un enseignement assez unique des sciences de la planète. 
En même temps, le CERES a développé un enseignement et une recherche hautement interdisciplinaires, en étroite collaboration avec le directeur-adjoint, Claude Kergomard, géographe, et avec le directeur des études, David Claessen, écologiste.

Mon principal domaine de recherche est la dynamique du climat, mais je continue à publier dans des périodiques de mathématiques, de physique et, plus récemment, d’économie. J’ai également eu la couverture de New Scientist en février 2004 pour mes travaux en mécanique céleste.

Vous venez d’obtenir la médaille Alfred Wegener, que représente cette distinction pour vous ?

C’est un grand honneur pour moi et pour un grand nombre d’anciens thésards, post-docs et autres collaborateurs. J’ai un rapport un peu personnel avec cette médaille. Grandissant derrière le rideau de fer, j’ai lu pendant mon adolescence un livre sur Wegener écrit et publié dans l’ancienne RDA. Cet astronome et climatologue allemand a utilisé ses connaissances climatiques pour étoffer sa théorie de la dérive des continents. Il est par sa démarche, un grand exemple d’interdisciplinarité. 

Pouvez-vous nous parler du futur Institut de l’environnement à Jourdan ?

L’idée de cet Institut a germé à l’ENS il y a vingt ans avec la création par Etienne Guyon de la Cellule Environnement. Elle devient en 2000, la Plate-forme Environnement sous la direction de Gabriel Ruget et le CERES-ERTI à l’arrivée de Monique Canto-Sperber. Cette structure très dynamique à la charnière du climat, de l’économie et de l’écologie s’est développée avec des personnalités comme Luc Abbadie et Régis Ferrière, écologistes, ou Gérard Weisbuch, physicien. L’enthousiasme des élèves, comme le physicien Vassilis Spyratos et le biologiste Livio Riboli-Sasco ont aussi porté l’action de cette unité. Au départ, nous avions essayé de proposer des cours interdisciplinaires mais cela s’est avéré compliqué : les TAO en savaient plus sur le climat et les biologistes sur l’écologie. À la suggestion des élèves, nous avons mis en place des ateliers, de 12 à 15 élèves, orientés vers un travail plus personnel. Anne Varenne, directrice des études de Chimie ParisTech et directrice des études de l’Institut de l’environnement est très intéressée par cette formule. 
L’enquête PISA sur l’enseignement menée par l’OCDE, démontre que, pour la solution des problèmes réclamant de l’imagination et de l’interdisciplinarité, les Français sont mal placés en Europe. L’idée de l’Institut de l’environnement est justement de s’orienter vers une vraie interdisciplinarité.
Le bâtiment qui accueillera l’Institut devrait voir le jour en 2016 sur le campus Jourdan, mais les activités scientifiques devront démarrer cette année avec le déblocage des crédits de l’Idex et la participation du CNRS. L’Institut a bénéficié de l’intérêt du CNRS, notamment du directeur de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU) et de la commission sur l’interdisciplinarité du CNRS.

Quels sont vos projets dans les prochains mois à venir ?

Depuis peu, je me passionne pour l’unification des deux approches théoriques complémentaires de la dynamique du climat : celle des systèmes dynamiques non linéaires déterministes qui remonte à Edward Lorenz, David Ruelle, Steve Smale, et celle des systèmes linéaires stochastiques avec Albert Einstein et Klaus Hasselmann. On ne sait toujours pas si à la fin du siècle la température globale sera plus élevée de 2° ou de 5°. Avec les problèmes posés par la détermination de la sensibilité du système climatique, il est très important d’avoir une version unifiée de la variabilité interne et forcée du système. Que ferait le climat si nous n’étions pas là, et que fait-il comme on y est ? Une citation de Victor Hugo illustre bien ce besoin : « A qui n’interroge pas le tout, rien ne se révèle. » 
Plus concrètement, nous prévoyons de monter, cet automne, un atelier à l’Institut de l’environnement sur la modélisation couplée climat-économie avec des participants d’Allemagne, de France, d’Italie, et des Pays-Bas. D’autres projets d’écoles d’été ou de collaborations sont aussi prévus. 

Malheureusement, je suis obligé de prendre ma retraite cette année. Libéré des responsabilités administratives que j’ai portées pendant 22 ans des deux côtés de l’Atlantique, je vais me concentrer sur la recherche et l’enseignement. Le directeur du département de géosciences de l’International Centre for Theoretical Physics (ICTP) de Trieste m’a demandé d’y passer plus de temps. Ce centre a été fondé par Abdus Salam, savant pakistanais prix Nobel de physique, pour enseigner aux jeunes scientifiques des pays en développement et stimuler leur recherche.

Quand vous ne travaillez pas, quelle est votre occupation préférée ?

Profiter de Paris, aller aux expos, au théâtre, au cinéma, à l’opéra. J’aime aussi la lecture, le sport, la varappe, le ski de fond. Je fais également de la plongée depuis dix ans.