Le projet REBOND : ouvrir les murs de la prison avec des interventions d’étudiants

Rencontre avec Camille Nédellec, normalienne en cinéma et bénévole de l’association

Créé le
15 février 2024
Né en 2021 suite à la disparition de l’association Genepi, le projet REBOND repose sur des interventions d’étudiants bénévoles auprès des personnes détenues, afin de les accompagner dans le développement de nouvelles connaissances et compétences, dans le cadre d’un projet scolaire ou personnel. Une initiative citoyenne, qui a pour vocation de décloisonner la prison et le monde extérieur, tout en renouant des liens sociaux trop souvent dissous derrière les murs.
Camille Nédellec, étudiante en première année au département des arts de l’ENS-PSL a récemment rejoint REBOND en tant qu’intervenante. Elle nous explique les enjeux d’un tel projet et les raisons de son engagement.
Camille Nédellec
Camille Nédellec

« L’objectif du projet REBOND ? Mettre face à face des personnes qui n’auraient jamais eu l’occasion de se côtoyer autrement. » Camille Nédellec, est en première année au département des arts de l’ENS-PSL et suit également une licence 3 Cinéma et métiers de la culture à l’Université Paris-Cité. Depuis quelques mois, elle a rejoint le projet REBOND, qui propose de faire se rencontrer étudiants et personnes détenues.

Un projet au service de l’accompagnement des personnes détenues

À l’initiative d’un tel programme, l’Association des Anciens du Genepi, qui a mené des discussions avec la Direction de l'Administration Pénitentiaire pendant plusieurs mois afin d'arriver à une convention encadrant et soutenant le projet REBOND. Les fondateurs, tous d’anciens membres du Genepi (Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées), dissout en 2021 après 45 ans d’existence, ont souhaité créer une structure neuve, qui combine héritage de la précédente association et dimension d’ouverture à de nouveaux partenariats et à une nouvelle génération d’étudiants. « Le concept du projet REBOND repose sur des interventions s’adressant à toute personne détenue, quel que soit le motif de son incarcération », explique Camille Nédellec. « Sur la base du volontariat, ces personnes sont mises en relation avec des étudiants et étudiantes bénévoles, pour les aider à développer de nouvelles connaissances et compétences, dans le cadre d’un projet scolaire ou personnel. »

« Le contenu des cours importe moins que la rencontre humaine qu’ils permettent. »

Chaque semaine, la normalienne donne des cours à la maison d’arrêt de Nanterre, « encore peu pourvue en bénévoles. Nous avons un réseau national de 100 intervenants, pour environ 200 bénéficiaires. Mais le projet a vocation à se développer, pour toucher davantage d’établissements ». Les enseignements peuvent ainsi aller de l’alphabétisation, comme le fait actuellement la normalienne, à des cours de langues étrangères, en passant par une aide à l’obtention du DAEU (Diplôme d’Accès aux Études Universitaires), destiné à celles et ceux ayant quitté le système scolaire avant l’obtention du baccalauréat.

Rencontre humaine

« Mais le contenu des cours importe moins que la rencontre humaine qu’ils permettent », tient à souligner Camille Nédellec. « Ces séances sont un peu comme des bulles hors du temps, qui permettent aux personnes détenues de se changer les idées, par exemple lorsqu’ils travaillent toute la journée dans des ateliers, et d’établir un contact avec le monde extérieur », appuie-t-elle. « Il s’agit surtout d’être à leur écoute, et de ne pas se focaliser uniquement sur les cours. » Pour Camille Nédellec, « tout l’intérêt et l’enjeu du projet, c’est le choc des cultures ». Aussi bien pour l’étudiant, qui apprend à connaître « un monde qui ne lui est pas ou peu familier », que pour la personne détenue, « dont le parcours scolaire a souvent été difficile. »

Le projet REBOND a pour spécificité de mobiliser des étudiants, qui sont eux-mêmes en situation d’apprentissage, et pour qui il s’agit moins de transmettre un savoir que d’accompagner des individus. « D’où la singularité du lien qui se crée avec les bénéficiaires », estime la normalienne. C’est une initiative qui vient enrichir de manière complémentaire d’autres programmes, comme la Section des Étudiants Empêchés (SEE) de l’Université Paris Cité. Depuis 40 ans, celle-ci offre la possibilité aux personnes détenues des prisons d’Île-de-France d’entamer ou de poursuivre des études supérieures. Les cours sont donnés au sein des établissements pénitentiaires plutôt que par correspondance. « Il s’agit actuellement de la seule université française à disposer d’un service dédié aux enseignements en milieu carcéral », précise Camille Nédellec.
Les RLE, les responsables locaux de l’enseignement de l’établissement pénitentiaire, « sont également des relais précieux ». La RLE de la maison d'arrêt de Nanterre organise par exemple la mise en lien entre étudiants du projet REBOND et personnes détenues, autour des besoins exprimés par ces dernières, et se montre disponible pour échanger avec les étudiants et étudiantes au sujet de leurs interventions.

Prison, cinéma et réflexion

Des cours que Camille Nédellec arrive sans peine à concilier avec son emploi du temps d’étudiante : « concernant la fréquence des cours, l’idée n’est pas d’imposer quelque chose de trop contraignant, tout se fait en fonction des disponibilités de chacun », précise-t-elle. « Une certaine régularité est essentielle. Autant que possible, le rythme d'intervention est hebdomadaire. »

Après deux années de classe préparatoire, la normalienne avait à cœur de s’engager dans la vie associative de l’ENS-PSL. Intéressée par le milieu carcéral et les activités culturelles en lien avec le cinéma qui peuvent y être organisées, elle souhaitait initialement proposer des projections de films dans une maison d’arrêt, en partenariat avec le ciné-club de l’ENS, dont elle fait aussi partie. « Mais il était difficile de monter ce type de projet en partant de zéro », explique Camille Nédellec. Elle décide alors de se tourner vers des cours, une activité que propose justement l’Association des Anciens du Génépi. « J’espère cependant parvenir à lier un jour détention et cinéma », confie la normalienne. « Je reste très marquée par l’atelier de programmation mis en place par la réalisatrice Anne Toussaint à la maison d’arrêt de la Santé dans les années 1990, qui permettait aux détenus de diffuser des films de leur choix, mais aussi de les présenter et de les analyser », raconte-t-elle. « J’ai été frappée par la puissance symbolique de ce projet, par l’engagement profond qu'elle impliquait de la part des détenus. »

Se former

Étudiante au département des arts de l’ENS-PSL, Camille Nédellec n’a, pour le moment, pas prévu d’associer REBOND à ses études. Cependant, son engagement ne se limite pas au temps passé à la maison d’arrêt : « au-delà de m’aider à mieux comprendre l’histoire du système pénitentiaire français, ce projet m’a ouvert un nouveau champ de réflexion et m’a donné envie d’approfondir le sujet plus théoriquement », indique-t-elle. La normalienne souhaite également implanter durablement ce projet au sein de l’ENS-PSL, en mobilisant d’autres camarades prêts à aller sur le terrain. Aujourd’hui, ce sont sept étudiants et étudiantes de l’ENS qui donnent des cours via le projet REBOND, ou qui ont entamé les démarches pour le faire.

« Aller en prison chaque semaine, c'est se confronter à des trajectoires de vie heurtées et des histoires personnelles douloureuses, qui vous touchent profondément et vous apprennent toujours beaucoup. »

Plusieurs étapes, courtes mais rigoureuses, sont nécessaires afin d’intégrer pleinement l’association. La personne bénévole passe d’abord un entretien de 45 minutes avec un référent de l’Association des Anciens du Génépi, où il fait part de ses motivations. « Il doit ensuite suivre une formation interne, d’une durée de trois heures en distanciel, qui présente le fonctionnement du système pénitentiaire français et donne quelques clés pour mener à bien ses premiers cours », explique Camille Nédellec. Enfin, l’étudiant doit effectuer une formation à la maison d’arrêt elle-même, appelée formation Optim. Celle-ci dure une journée complète : elle consiste en une visite de l’établissement ainsi qu’une sensibilisation aux questions de sécurité. « Cette dernière formation, très marquante, est essentielle pour prendre conscience de l’environnement dans lequel vivent les personnes à qui l’on va donner des cours », indique la normalienne. Se greffe à tout cela une vie associative particulièrement riche : l'association propose notamment des rencontres et des formations complémentaires pour approfondir la réflexion sur le milieu carcéral et la justice, et pour échanger autour des expériences concrètes vécues en détention. « Aller en prison chaque semaine, c'est se confronter à des trajectoires de vie heurtées et des histoires personnelles douloureuses, qui vous touchent profondément et vous apprennent toujours beaucoup », conclut Camille Nédellec.