Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image

Questions à Antoine de Baecque

A l’occasion de l’exposition-évènement, « Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image" (du 16 octobre 2019 au 26 janvier 2020 à la Conciergerie) et du colloque éponyme (du 20 au 22 novembre 2019), le commissaire de l’exposition Antoine de Baecque (historien, critique de cinéma et professeur au département Histoire et Théorie des Arts à l’ENS) nous en dit plus sur une reine devenue icône populaire.
Marie-Antoinette d'après Vigée Le Brun
Marie-Antoinette en grand habit d’après Élisabeth Vigée Le Brun, 1779-1788, Château de Versailles © Photographie RMN-Grand Palais-Gérard Blot

Entretien avec Antoine de Baecque

Marie-Antoinette est-elle une figure mythique ?

Il s’agit sans doute de la figure historique la plus représentée au monde, sur la continuité de près de 250 ans. Marie-Antoinette illustre un trait de fable : la toute puissance réduite à néant, la gloire se muant en tragédie. Elle est aussi aux origines de multiples images qui s’imposent comme des emblèmes – son portrait façonné selon ses vœux par Elisabeth Vigée Le Brun, loin de la représentation traditionnelle et guindée des reines de France –, ou des fétiches : par exemple, les nombreuses boucles de cheveux qu’elle coupe lors de son emprisonnement afin de les diffuser comme des reliques, ou les morceaux de tissus, de vêtements, de choses lui ayant appartenu, jouant le même rôle, objets de culte.

Pourquoi suscite-t-elle encore tant de passions ?

Ce destin est étonnant : Marie-Antoinette est revenue portée par des représentations multiples, croisées, actuelles. Le manga par exemple, avec La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda ; le cinéma, avec des films comme Marie Antoinette de Sofia Coppola ou Les Adieux à la reine de Benoit Jacquot, d’après le roman de Chantal Thomas ; les arts plastiques et ses métamorphoses chez Botéro, Pierre et Gilles, Erwin Olaf, Kimiko Yoshida, Asya Kozina, Benjamin Lacombe,… ; la mode et ses nombreuses créations de haute-couture, de Dior à Louboutin, de Kate Moss à Madonna ; et un foisonnement d’images populaires et d’objets de consommation courante. La reine n’est plus une représentation politique, elle dit plutôt les miroitements du kitsch contemporain, l’ironie de la civilisation bariolée et mondialisée du pop.

En quoi Marie-Antoinette est-elle moderne ?

Voici une icône de la féminité contemporaine à travers l’affirmation de son indépendance, de son affranchissement vis-à-vis du pouvoir des hommes (de Versailles à la Révolution), de ses choix de vie : dans la nature, certes artificielle, du Hameau au Trianon, aux côtés de ses enfants qu’elle tient à élever, au milieu des ses amies, voire de ses amants. Cette « jeune femme moderne » est l’image nouvelle de Marie-Antoinette.

"Marie-Antoinette illustre un trait de fable : la toute puissance réduite à néant, la gloire se muant en tragédie »
 

Une féministe avant l’heure ?

Moins féministe – ce serait exagéré – que femme, mais femme de manière affirmée, presqu’exacerbée.

Quelle personnalité féminine, selon vous, en serait la digne héritière ?

Le cousinage est frappant avec Lady Diana. La princesse de Galles qui s’affranchit de Buckingham, qui vit ses amours, qui élève ses enfants, qui s’intéresse à la culture et aux bonnes œuvres, qui tente de façonner et contrôler son image et finit victime de cette même image. L’émotion mondiale qui accompagna la disparition de Lady Di en août 1997 prépare le terrain à la « présentification » de l’image de Marie-Antoinette.

S’il ne devait rester qu’une image de Marie-Antoinette laquelle choisiriez-vous ?

L’arrivée de Kirsten Dunst à Versailles, dans le film de Sofia Coppola, Marie Antoinette (2006), cintrée dans son joli costume bleu de jeune fille : en découvrant le château, elle y voit déjà la « maison de poupée » qu’elle façonnera et qui sera son monde à elle, au grand dam des courtisans de l’époque et… des conservateurs de Versailles d’aujourd’hui.

Genèse d’une exposition

L’idée vient du Centre des monuments nationaux (CMN), tutelle notamment de la Conciergerie, ce lieu impressionnant, ancienne prison de la Terreur où Marie-Antoinette passa les 76 derniers jours de sa vie dans l’attente de son procès puis de son exécution, le 16 octobre 1793. Il s’agissait donc, il y a trois ans, de concevoir une exposition in situ sur Marie-Antoinette. Le point de vue des images a rapidement été privilégié. Car il permet d’échapper à l’exposition strictement biographique, d’illustrer par le foisonnement des représentations la guerre des images entre les pour et les contre, les royalistes vouant un culte à la reine martyr et les républicains attisant la haine de la reine scélérate ; enfin, ce point de vue autorisait également à sortir de cette rivalité : le portrait le plus récent est moins politique et idéologique que psychologique et révélateur, celui de la « pauvre petite fille riche ».

Exposition Marie-Antoinette
Vue de l’exposition « Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image » à la Conciergerie © Didier Plowy - Centre des monuments nationaux