Apprentissage de la langue maternelle : un processus universel ?

Comment les enfants apprennent-ils leur langue maternelle ? Cette question a fait l'objet de peu d'études menées hors des pays industrialisés.

Au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (CNRS/ENS/EHESS), des spécialistes du développement du langage chez l'enfant se sont intéressés à une population traditionnelle de l'Amazonie bolivienne, les Chimane , en lien avec des bio-anthropologues de l'Université Toulouse 1 Capitole et de celle de Californie - Santa Barbara.

Leur étude, publiée le 2 novembre 2017 dans la revue Child Development, montre que la durée moyenne des paroles adressées aux enfants de moins de quatre ans est inférieure à une minute par heure. C'est jusqu'à dix fois moins que pour les enfants du même âge de pays industrialisés. Ce constat invite à multiplier ce genre d'études dans des cultures diverses afin de vérifier si l'apprentissage de la langue maternelle suit un processus universel.

Les chercheurs de cette étude se sont penchés sur une population de chasseurs-horticulteurs de l'Amazonie bolivienne, les Chimane. Cette étude, réalisée dans six villages représentatifs, a inclus près d'un millier de Chimane.
Sur la base de ces observations, les spécialistes de développement du langage ont constaté que, tous interlocuteurs confondus, le temps consacré à parler à un enfant de moins de quatre ans était de moins d'une minute par heure. C'est quatre fois moins que les estimations faites auprès des personnes plus âgées présentes au même moment et au même endroit. Et jusqu'à dix fois moins que pour les jeunes enfants de pays occidentaux, d'après les estimations de précédentes études.
Si, comme chez nous, la mère est le locuteur principal de l'enfant, la fréquence avec laquelle elle parle au nourrisson est bien moindre. Après l'âge de 3 ans, la majorité des paroles adressées aux jeunes enfants proviennent d'autres enfants, généralement leurs frères et sœurs (les Chimane en ont en moyenne cinq, contre un pour les enfants français et américains).
Ces résultats révèlent donc une grande variation interculturelle dans les expériences linguistiques des jeunes enfants. Or, dans les pays industrialisés, le développement du langage chez l'enfant est corrélé aux paroles qui lui sont adressées directement par des adultes, et non aux autres paroles entendues. Cette corrélation est-elle universelle ? Les enfants chimane évoluent dans un monde social riche : à tout moment, ils sont entourés par huit personnes en moyenne. Est-ce que les échanges qu'ils entendent, et qui représentent environ dix minutes par heure, contribuent à leur apprentissage ? Les recherches se poursuivent actuellement sur le terrain : en recueillant les paroles adressées aux enfants chimane et celles qu'ils prononcent, les chercheurs espèrent pouvoir répondre à ces questions.

Source: CNRS

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© Jonathan Stieglitz . Mère chimane avec sa fille.

Références :

Child-directed speech is infrequent in a forager-farmer population: A time allocation study, Alejandrina Cristia, Emmanuel Dupoux, Michael Gurven, Jonathan Stieglitz. Child Development, 2 novembre 2017. DOI : 10.1111/cdev.12974