30 janvier, la Nuit des idées fait escale rue d’Ulm

Rencontre avec trois des concepteurs du programme

L'étape normalienne développera le thème des « Controverses du vivant ». Ateliers, débats et conférences sur les sujets d'actualité incontournables liés à la santé rythmeront la soirée. Rencontre avec Camille Sfeir, Bastien Saïsse et Kyllian Delplace, trois des dix étudiants du parcours Médecine-Humanités, porteurs de cette édition organisée en partenariat avec le Comité consultatif national d’éthique.
médecine-huma
de gauche à droite : Kyllian Delplace, Camille Sfeir et Bastien Saïsse

Le vivant : des questions transverses entre sciences et humanités

Cette Nuit des idées à l’ENS-PSL est organisée par dix étudiants du programme Médecine-Humanités. Des semaines de préparation soutenues ont été nécessaires pour explorer les « controverses du vivants » l’espace d’une soirée et d’un numéro de l’hebdomadaire Le 1. Choix des sujets abordés, des intervenants, des animateurs, planification des ateliers… les missions ont été variées et les enjeux de l’événement réels, explique Bastien Saïsse.

« Des problèmes éthiques réels se posent aux citoyens, aux professionnels de santé, aux gouvernements… Il me semble important de se réunir pour apprendre, comprendre, débattre sur ces sujets de société, en les appréhendant dans toute leur complexité scientifique et humaine » ajoute-t-il. Pour Kyllian Delplace, cette Nuit est l’occasion de « démocratiser les débats éthiques et délimiter la spécialisation de ces débats qui sont autant de freins à la compréhension des enjeux. ». À propos des controverses qu’ils suscitent, il ajoute : « elles dépassent largement son cadre pour atteindre ce qui l'entoure : les arts, la société, l'environnement naturel. Nous pourrions résumer cela en disant que le vivant touche tout ce que le biologique n'atteint pas. »

Car si le thème, de la Nuit des idées 2020, « Etre vivant » est national, ce sont les normaliens qui ont choisi d’ aborder la délicate question des controverses. Pour Camille Sfeir, qui rejoint les points de vue de Kyllian et Bastien, ce sujet permet de mettre en évidence les questions très larges que la bioéthique suscite : « nous souhaitons montrer que la médecine, la santé et la vie plus généralement posent des problématiques transverses, parfois impressionnantes, mais qui nous concernent tous, experts ou non, et où chaque voix doit être entendue. »

Environnement, génétique, cellules souches, relation médecin-patient, accès aux soins pour les migrants, loi de bioéthique... Se confronter aux  problématiques d’actualité, guidés par les enseignements du programme Médecine-Humanités de l’ENS-PSL est un choix revendiqué par les étudiants. Rappelons qu’ils suivent à l'École un cursus mixte - articulé avec des études de médecine - dont l'objectif est une formation approfondie dans l’une des disciplines des Humanités (philosophie, géographie, sciences sociales, économie…). Les étudiants en médecine se préparent ainsi à un métier où les « humanités médicales » sont sans cesse mobilisées, des cas cliniques et des relations de soin aux enjeux éthiques ou politiques plus généraux.


"Le vivant touche tout ce que le biologique n'atteint pas.
Kyllian Delplace

Pour illustrer l’un des sujets de cette Nuit des idées, Kyllian Delplace fait siennes les paroles de Michel Serres : « il s'agit d'encourager les soignants et les soignés à rééquilibrer leurs "deux têtes", l'une scientifique, l'autre environnementale, afin de permettre une (ré-)introduction de soin dans notre société. »

 

Des normaliens face aux enjeux du vivant

Pour les trois étudiants, les enjeux actuels de la santé sont nombreux et cruciaux.

La Constitution de l’OMS établit que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain » rappellent-ils. Or, on peut légitimement se questionner sur la possibilité pour une immense partie de l’Humanité d’accéder au « meilleur état de santé » dans le contexte mondial que nous connaissons. Bastien Saïsse explique, soucieux : « de nombreux conflits guerriers sont en cours et ne trouvent pas de résolution, une grande partie de l’humanité vit dans des conditions de pauvreté extrême, un enfant meurt toutes les 90 secondes dans le monde d’une cause liée au manque d’eau potable, les maladies infectieuses (VIH, tuberculose, paludisme) continuent de faire des ravages dans les régions les plus pauvres, le manque de moyens ne permet pas à ces personnes d’avoir accès à des soins, l’aide médicale internationale est empêchée d’intervenir et devient une arme de domination dans certains conflits très meurtriers…  Le problème qui se pose à nous est donc le suivant : comment garantir à tous le droit à la santé dans un tel contexte ? »

"Le problème qui se pose à nous : comment garantir à tous le droit à la santé ?
Bastien Saïsse

Pour Camille Sfeir, comment ne pas aborder les questions de bioéthique ? « Le débat a été monopolisé par la question de la PMA. Mais bien d’autres thèmes sont fondamentaux : la recherche et l’utilisation des cellules souches, les questions portant sur le génome, l’Intelligence artificielle, l’utilisation des données de santé... Autant de domaines qui sont en tension entre notre volonté de préserver l’être humain et sa dignité, et la concurrence internationale qui nous expose à une logique marchande. »

Se pose aussi, comme le souligne Kyllian Delplace, la question de l'informatisation et de la propagation des données. Car si le soignant est tenu au respect du secret médical qu'en est-il des réseaux sociaux, qu'en est-il des assurances, qu'en est-il des grands groupes informatiques ? « Actuellement, aucune loi n'interdit le partage de ces données, ni même leur vente. De sorte que certains patients craignent la divulgation de leur état de santé. »

Inévitable, la question de l’impact sur l'environnement se pose aussi. Où en sont les recherches sur les conséquences environnementales de certains produits ? « Certaines molécules connues comportent probablement des menaces écologiques, mais ces produits restent sur le marché faute de preuves et de réponses univoques. » s’inquiète Kyllian. « Le dérèglement climatique vient modifier considérablement la répartition des ressources et aggraver de nombreuses problématiques, notamment en termes de santé », ajoute Bastien. « Plus de catastrophes naturelles, moins de ressources comme l’eau donc plus de conflits entre états, déplacement de maladies infectieuses dans des régions nouvelles… » les questions sont vertigineuses.

 

Que leur apporte le programme Médecine-Humanités  ?

Ces enjeux cruciaux, les étudiants les abordent souvent avec passion dans les sessions du programme Médecine-Humanités.

Bastien Saïsse voit dans cette formation l’opportunité d’élargir ses horizons de réflexion et développer un regard critique sur la manière d’exercer son futur métier : « j’espère ouvrir mon esprit à d’autres approches de la santé que celle biomédicale, afin d’acquérir des éléments de réponse aux questions éthiques de ma pratique de la médecine ».

Pour Kyllian Delplace, cet enseignement vient en complément essentiel de sa formation. « Je l'ai choisi pour combler le manque ressenti durant nos études face à de réels problèmes humains. Beaucoup des étudiants en médecine sont démunis devant certaines questions que les soignés leur posent. Comment comprendre les tragédies humaines sans avoir jamais été au théâtre ? Comment comprendre les crimes passionnels sans avoir lu « Thérèse Raquin » ? Comment remettre en cause le normatif médical sans avoir jamais ouvert « Le Normal et le Pathologique » ? Comment devenir médecin si on ne sait pas ce qu'est une vie, ses tourments, ses questionnements, ses doutes et ses désirs ? »

" Comment devenir médecin si on ne sait pas ce qu'est une vie, ses tourments, ses questionnements, ses doutes et ses désirs ?
Kyllian Delplace

Avant ses études de médecine, Camille Sfeir a effectué un long parcours dans le droit. Grâce à cela, elle a réalisé que sa véritable vocation était de devenir médecin. « Mais j’ai aussi compris que les études de médecine nécessitent d’être complétées par une ouverture supplémentaire, qu’elle soit personnelle ou académique ». Selon l’étudiante, le cursus Médecine-Humanités permet de mener à bien les études de médecine, tout en ayant la chance d’étudier des disciplines fondamentalement différentes dans leur contenu et dans leur méthode. « C’est véritable ouverture vers une formation globale, rendant les humanités et la science compatibles, comme devrait l’être naturellement la médecine. » conclut-elle.

" Ce programme est une véritable ouverture vers une formation globale, rendant les humanités et la science compatibles, comme devrait l’être naturellement la médecine.
Camille Sfeir

 

 

À propos de la Nuit des « Controverses du vivant », jeudi 30 janvier
Dans le cadre de la Nuit des idées 2020, la nuit des "Controverses du Vivant" à l’École normale supérieure est un appel à débattre sur des sujets d'actualité liés à la santé : environnement, génétique, cellules souches, relation médecin-patient, accès aux soins pour les migrants, loi de bioéthique...
Une soirée organisée par les étudiants du programme Médecine-Humanités de l'École normale supérieure - PSL et le Comité consultatif national d’éthique, pensée pour répondre aux interrogations du plus grand nombre.
De 19h à minuit, jeudi 30 janvier 2020 – entrée libre

 

À propos du programme Médecine-Humanités
Ce programme créé en 2018 relie les principes généraux des humanités aux questions les plus nouvelles posées par les savoirs et les pratiques de la médecine. Il s’adresse aux étudiants en médecine qui souhaitent compléter leur formation professionnelle par un cursus adapté et au plus haut niveau en Humanités à l’École normale supérieure.