Voir l’activité électrique du cerveau

Les étincelles neuronales à l’épreuve de la microscopie ultra rapide.

L’imagerie de pointe peut-elle permettre de lire l’activité neuronale dans la profondeur du cerveau ? Peut-on envisager une alternative moins invasive et plus performante aux techniques d’électrophysiologie ? C’est le chemin suivi par des chercheurs de l’École normale supérieure – PSL, de l’Inserm et du CNRS. La technologie de microscopie ultra-rapide qu’ils ont développée, parce qu’elle facilite la lecture de l’activité électrique neuronale dans différentes couches du cerveau, leur permet d’étudier le dialogue entre les neurones, ouvrant ainsi les portes d’une révolution dans le domaine des neurosciences. Leurs travaux font l’objet d’une étude publiée dans Cell le 12 décembre 2019.

Comment « écouter » le bruit du vent d’information électrique percolant dans la forêt neuronale autrement qu’en insérant de fins fils conducteurs, les électrodes, à l’intérieur du cerveau ? Trouver une alternative à ces techniques d’électrophysiologie invasives et peu résolutives anime une partie de la communauté scientifique depuis plusieurs décennies. Certains rêvant même de « voir » l’activité électrique du cerveau.

Afin de rendre l’électricité cérébrale visible, plusieurs groupes de recherche ont perfectionné des protéines indicatrices de potentiel encodées génétiquement (GEVI1) qui émettent plus ou moins de lumière en fonction du potentiel électrique à travers la membrane des neurones. L’une d’elle, ASAP3, la dernière-née d’une famille développée par le groupe de Michael Lin (Stanford, CA), a été utilisée dans cette étude pour sa sensibilité et sa compatibilité avec la microscopie biphotonique, une technique de microscopie permettant de voir les neurones individuels et leurs ramifications à grande profondeur. L’un des défis majeurs restant posés par l’imagerie des signaux électriques était leur faible durée, de l’ordre du millième de seconde. Les techniques d’imagerie classiques n’étaient ni suffisamment rapides, ni suffisamment sensibles pour permettre de visualiser le bref signal lumineux des GEVIs.

Pour capter ces étincelles neuronales, Stéphane Dieudonné et Benjamin Mathieu, chercheurs Inserm à l'IBENS (Inserm, CNRS, ENS-PSL)2, ont développé une nouvelle stratégie de mesure optique appelée ULoVE permettant d’augmenter la sensibilité et la stabilité des enregistrements, tout en conservant des cadences de 20 000 mesures par seconde, soit plusieurs ordres de grandeur au-dessus des techniques d’imagerie classique. Ce raffinement remarquable de la technologie de microscopie biphotonique ultra-rapide, permet la lecture de l’activité électrique de neurones présents dans différentes couches du cerveau, alors que les méthodes alternatives sont limitées à sa surface (un dixième de millimètre).

Il est important de rappeler que ce travail est l’aboutissement d’une ligne d’innovation majeure dans le champ de la microscopie ultra-rapide, initiée en 2002 en collaboration avec le groupe de Laurent Bourdieu, chercheur CNRS à l’IBENS. Ce projet de longue haleine a bénéficié dans sa phase finale du soutien financier du programme Brain Initiative (NIH) mis en place sous l’administration Obama. En 2017, quinze ans après l’initiation du projet, la création de la start-up Karthala System a ouvert la voie de la dissémination, dans la communauté scientifique, de cette technologie d’instrumentation novatrice, développée dans les laboratoires de l’ENS-PSL.

1GEVI : protéines indicatrices de potentiel encodées génétiquement
2Le laboratoire impliqué dans ce résultat est l’Institut de biologie de l’Ecole normale supérieure (IBENS) avec la participation de l’Institut des neurosciences Paris Saint-Pères (SPPIN, CNRS/Université Paris Descartes).

Comment fonctionnent nos neurones ?
Le cerveau est composé d’un enchevêtrement de cellules connectées entre elles, les neurones, formant des circuits spécialisés. Comme dans un ordinateur, des signaux électriques permettent aux neurones de traiter et de transmettre les informations. Mais, à la différence d’un composant électronique, chaque neurone possède une architecture complexe, arborescente, lui permettant d’effectuer des opérations élaborées. L’information électrique lui parvient au niveau des feuilles, les synapses, est mise en commun et traitée au niveau des branches et du tronc, les dendrites, pour générer éventuellement un évènement électrique singulier, le potentiel d’action. Cette étincelle neuronale est transmise aux autres neurones via les racines du neurone, l’axone.

Voir l’activité électrique du cerveau

Crédit : Felipe Delestro et Benjamin Mathieu
Légende : Une image de la protéine indicatrice du voltage (ASAP3) provenant d'une couche profonde du cerveau imagée par imagerie biphotonique permet d'appliquer la nouvelle technique optique ULoVE pour voir l'activité électrique simultanée de trois neurones de la souris éveillée.

 

 

Bibliographie :
Ultrafast Two-Photon Imaging of a High-Gain Voltage Indicator in Awake Behaving Mice Vincent Villette, Mariya Chavarha,Ivan K. Dimov, ..., Jun Ding, Stéphane Dieudonné, Michael Z. Lin, Cell , le 12 décembre 2019.

Contacts chercheurs :
Chercheur Inserm à l’IBENS (CNRS, Inserm, ENS-PSL) | Stéphane Dieudonné | dieudon@biologie.ens.fr

Contact presse :
ENS - PSL | presse@ens.psl.eu
CNRS |  presse@cnrs.fr
Inserm | presse@inserm.fr